Pour les entreprises, l'abri antinumérique n'existe pas

L'escamotage de Denis Hennequin et son remplacement par Sébastien Bazin à la tête d'Accor ne sont pas qu'une affaire d'ambition personnelle. Ils ont été provoqués par un tsunami qui a frappé l'hôtellerie comme il avait frappé la musique : le numérique.

La réservation de chambres d'hôtels a échappé aux agences de voyages. La réservation en ligne, dominée par Booking.com, fait plus de 60 % du remplissage des hôtels et récolte une commission de 15-25 %. Les sites d'évaluation des hôtels, dominés par Trip Advisor, balayent les mauvais élèves et mettent en avant les bons.

D'après Accor, Denis Hennequin serait parti à cause de sa timidité face au défi numérique. Sébastrien Bazin sera évalué sur sa capacité à transformer le numérique en atout.

Une autre industrie précocement bousculée par le numérique a été la musique. En quelques années, l'abandon du CD pour le téléchargement a divisé par deux les revenus, rayant de la carte la distribution physique, d'où le décès de Virgin Megastore, et provoquant la faillite d'une major historiques, EMI.

Après le voyage et la musique, comme une série de dominos, toutes les industries sont ou seront affectées par le numérique, qui transforme leur mode de distribution, leur situation concurrentielle, leurs « business model ».

L'industrie lourde du logiciel traditionnel, avec ses licences coûteuses installées sur les serveurs de l'entreprise, subit de plein fouet la concurrence du « Software as a Service », hébergé dans le Cloud, avec sa performance constatée et son paiement à la prestation, incarné par Salesforce.com.

Toute l'industrie du commerce de détail doit encaisser les coups de boutoir des sites de vente en ligne, d'Amazon à Vente-Privée.com, et doit pour survivre réinventer son offre en intégrant le numérique.

La télévision est désintermédiée par les sites de streaming de films ou de séries, comme Netflix, dont le modèle de choix et d'ubiquité sur abonnement est très supérieur.

La voiture devient communicante : « quatre roues et un moteur autour d'une carte SIM ». Carlos Ghosn a déclaré (l'oeil sur la Google Car) : « L'avenir de l'automobile est dans la Silicon Valley. » Et, rupture majeure, l'usage migre vers le collectif, avec des sites comme Carsharing ou Carpooling.

Dans l'aérien, Internet a conduit au « yield management » et la distribution en ligne, et permis l'essor des « low cost ». Le transport terrestre va vers le covoiturage (Covoiturage.fr ou la réservation instantanée (Uber). Et quand le monopole cacochyme de la SNCF tombera, la même révolution touchera le ferroviaire. La finance, déjà secouée par les nouveaux modes de paiement comme Paypal ou Square, sera désintermédiée par des monnaies virtuelles sans banque comme Bitcoin.

Dans l'assurance, les comparateurs de prix et de prestation et l'achat en ligne vont fluidifier la vente, exacerber la concurrence, et obliger à redéfinir l'offre.

Mais les deux grandes révolutions numériques à venir sont la santé et l'éducation. Dans la santé, le suivi en temps réel sur des objets connectés d'une série de paramètres physiques et l'utilisation d'algorithmes puissants permettront de passer d'une médecine de traitement à une médecine de prévention et de substituer le domicile à l'hôpital. Tout le secteur sera bouleversé, de l'industrie pharmaceutique à l'industrie hospitalière, des médecins aux mutuelles.

Dans l'éducation l'e-learning rendra possible un véritable suivi personnalisé des élèves et un allégement et une amélioration du cours en salle de classe. Les grands systèmes éducatifs, insupportablement coûteux et rigides, devront faire leur aggiornamento.

Il n'y a pas d'abri antinumérique, car le numérique change la règle du jeu dans tous les secteurs. Le changement climatique a tué les dinosaures mais permis l'émergence des mammifères. Le numérique est le secteur de la croissance et de l'emploi futur, et restructure toute l'économie, comme le ferroviaire au XIXe siècle. La troisième révolution industrielle est numérique.

Henri de Bodinat,
Président de Time Equity Partners.

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