Pourquoi le journalisme en ligne n’a toujours pas de modèle économique

Nième discussion hier soir, avec une étudiante en journalisme, sur les difficultés économiques de la presse. Une fois qu’on a fait le compte de toutes les raisons objectives qui tirent vers le low cost, des chaînes d’info continue au journalisme people en passant par l’indexation des images (et non, pas des amateurs…), on arrive toujours au même constat: l’absence de modèle économique du web.

Les meilleurs journaux français sont aujourd’hui Rue89 et Mediapart. Sans aucun hasard des pure players (des organes qui ne diffusent qu’en ligne), avec des rédactions récemment formées, à l’écoute des nouvelles questions du public, et capables d’y apporter des éléments de réponse. Le choix de contenus haut de gamme, appuyés sur des enquêtes coûteuses, enferme forcément Mediapart dans un système payant, plus élitiste. En revanche, la rentabilité d’un organe plus grand public comme Rue89, aujourd’hui à l’abri d’un actionnaire-sponsor, n’est pas assurée dans un cadre de diffusion gratuite.

Et l’on en revient forcément à la pub. Le système économique sur lequel s’est appuyé la presse d’information générale depuis le XIXe siècle a été un marché à deux versants, constitué simultanément par un lectorat payant et par des annonceurs profitant de cette exposition (le fameux “temps de cerveau disponible” de Le Lay, qui ne décrit pas seulement l’économie de TF1, mais tout financement publicitaire). L’articulation de ces deux versants repose sur la diffusion de masse.

Google a montré comment la granularité du web permet d’inverser la logique de la communication publicitaire, en produisant au contraire une réponse individualisée, basée sur l’analyse des données créées par les circulations en ligne (ou big data). Du coup, la pub change de nature: plutôt qu’un contenu intrusif imposé de force à un lecteur qui n’a pas payé pour ça, la publicité ciblée devient un complément d’information logique, voire bienvenu.

On voit tout ce qui manque pour exploiter ces ressources dans le système médiatique actuel. Il faudrait en quelque sorte combiner Facebook et Rue89 pour adosser un organe producteur d’informations à un gisement de données exploitables d’un point de vue commercial. Les prémices de cette logique sont pourtant en train de s’élaborer, notamment du côté de la gestion des commentaires des usagers, dont on voit qu’elle s’effectue de façon très différente entre vieux supports et pure players.

Alors que les premiers ont toujours du mal à tolérer un dialogue perçu au mieux comme inutile, au pire comme désastreux, et tentent d’en limiter les effets à grand coups de modération, les organes dont l’ADN est numérique ont une gestion plus inspirée du community management, et tissent des relations plus denses entre lecteurs et éditeurs. Sur Rue89, Mediapart ou Arrêt sur images, on voit émerger des commentateurs vedettes, dont le comportement frise souvent le trollisme, mais qui sont visiblement pris en compte comme un facteur d’enrichissement de la conversation, et non comme des indésirables.

Si les pure players ont commencé à faire une place plus importante à leurs lecteurs, leur architecture technique reste cependant embryonnaire par rapport aux principaux réseaux sociaux. Mais on voit bien que ce qui fait surtout défaut, ce sont des entreprises capables d’exploiter l’activité des usagers – mis à part les grands acteurs du web. Le problème du modèle économique en ligne est moins celui de la presse que celui des agences de publicité, incapables pour l’instant de dépasser le modèle des médias de masse. De ce côté-là aussi, on voit que les choses commencent à bouger. On le devine, la question du modèle économique ne restera pas éternellement sans réponse.

André Gunthert
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