L’assurance santé au défi de la révolution digitale

Le secteur de l’assurance santé, après un démarrage tardif, est désormais lui aussi en pleine mutation. La révolution digitale renverse partiellement la perspective : autrefois passif, le client se réapproprie désormais le pouvoir.

Assureurs et mutuelles sont en train de développer des services d’informations ou d’accompagnement tenant compte de cette nouvelle donne, en particulier la connexion en mobilité grâce aux smartphones. La communication multicanale devient alors une évidence : assureurs et mutuelles peuvent proposer en temps réel un bouquet de services élargi, adapté, ciblé et géolocalisé, par exemple recommander un opticien, un dentiste membre d’un réseau, ou bien diriger vers un garage à proximité lors d’un sinistre automobile.

Certaines tendances se dessinent. Ainsi, les parcours de soins s’étendent grâce à la surveillance de nombreux paramètres. En parallèle, les organisations et les personnels de santé évoluent dans leurs compétences et se digitalisent. Ces bouleversements ne sont pas sans poser des questions quant à l’usage des données médicales : Big Data deviendra-t-il Big Brother médical ?

Applications mobiles, objets connectés et quantified self : vers un suivi médical permanent ?

Sur les parcours de soins, la révolution des applications mobiles et le développement des objets connectés vont radicalement transformer l'assurance santé dans les cinq prochaines années. Qu’il s’agisse d’une consultation, d’une hospitalisation ou d’un sinistre, l’assureur doit être force de proposition dans le cadre du parcours de soins. Cela revient à considérer un patient avec les mêmes critères qu’un client.

De fait, depuis peu fleurissent de nombreuses applications et objets connectés pour la surveillance des fonctions vitales.
· Dans l’alimentation : compteur de calories, calcul d’IMC, alimentation et grossesse…
· Pour l’activité physique : podomètre, gymnastique, yoga ou entrainement avec enseignement vidéo des gestes…
· Conseils santé contextuels : conseils pour arrêter de fumer, gestion des urgences, santé en voyage…
· Suivi de la santé au quotidien : auto-mesure tensionelle, suivi glycémique, calcul du risque cardiovasculaire, analyse du sommeil,…

Il ne s’agit pas d’une logique de simple fidélisation à des moments clés, mais de suivi au plus près et au quotidien. L’enjeu est aussi élevé que le niveau d’exigence car l’assureur doit devenir multi-terminal et se montrer réactif à chaque événement de son client : souscription, extension de police, événement de santé. En particulier, les objets connectés étendent le parcours de soin : ils interviennent dans la rééducation, l’accompagnement et le suivi thérapeutique (par exemple la surveillance de la régulation respiratoire pour les apnées du sommeil), l’observance du traitement (avec le pilulier intelligent destiné notamment aux personnes âgées et/ou malades chroniques) ou le bien-être quotidien.

Une évolution des processus et des compétences

L’impact de la digitalisation des pratiques, par les patients comme au sein de la société en général, se fait sentir sur le réseau d’agences de soin, les centres de contact, les agents de santé eux-mêmes. L’assureur santé, lui, doit relever trois défis : s’assurer de la satisfaction client, se doter d’une organisation plus efficace, sans oublier de prendre en compte la satisfaction des collaborateurs.

Pour parvenir à cet équilibre idéal, l’assureur et l’assuré ont intérêt à participer à la co-création du parcours client par un dialogue permanent. Les différents métiers de la chaîne de traitement doivent être impliqués le plus tôt possible afin d’intégrer toutes les transformations nécessaires, par exemple l’adaptation du poste de travail de l’agent.

Ces changements nécessitent un accompagnement du changement car la base de connaissance des agents s’élargit. Ainsi, la gestion de la compétence devient un élément clé : il faut repositionner les agents sur des traitements nouveaux et sur des tâches à plus forte valeur ajoutée, mais aussi leur permettre de traiter des dossiers dans leur intégralité et non par segments.

Jusqu’où faire une place au Big Data ?

Les grandes quantités de données à la disposition des assureurs offrent théoriquement le moyen d’optimiser la gestion et le développement d’un client par une meilleure connaissance de l’assuré grâce aux techniques du Big Data. Car en plus des données globales, les assureurs disposent en parallèle de données individuelles : antécédents médicaux, médicaments prescrits, mode de vie…

Cette connaissance complète de l’assuré permet de faire de la prévention personnalisée de manière proactive au jour le jour et de fournir des conseils sur l’hygiène, la nourriture, ou l’activité physique. En revanche, il n’est pas question d’exclure un assuré car la CNIL encadre très strictement l’utilisation des données personnelles, qui ne peuvent en aucun cas être exploitées pour la gestion de la clientèle.

Digitalisation et dématérialisation rencontrent donc leurs limites dans l’assurance en France. C’est à la fois une question de loi et de culture. De légitimes inquiétudes se font jour dès que la question de l’atteinte à la vie privée est posée. Par ailleurs, collecter et traiter d’importants volumes de données de santé individuelles poserait des questions de sécurité majeures.

En synthèse
La co-création du parcours de soins et la transformation des interactions client en expérience positive devient une nécessité, les démarches de travail collaboratives impliquant l'ensemble des acteurs de la chaîne de valeur forment la pierre angulaire de la réussite. En parallèle, à l'instar de leurs confrères étrangers, les assurances et les mutualistes seront amenées à s'engager dans une démarche de lobbying afin de faire évoluer la législation sur la protection des données de santé et leur utilisation. En effet, l'utilisation des applications mobiles et des objets connectés dans les parcours de soin sont soumis à un acte volontaire du client qui choisit ou non de communiquer ses données personnelles.

Alexandre Bord et Didier Mathieu

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