Santé : Internet traque le gaspillage

Avec les objets connectés, les assureurs comme l'Assurance-maladie cherchent à optimiser les dépenses des malades et à récompenser la prévention.

Rembourser les traitements seulement s'ils sont bien suivis. Moduler les primes des contrats de prévoyance en fonction du mode de vie. L'idée fait son chemin, portée par le développement des applications électroniques. Axa France a lancé au début de l'été la première complémentaire santé liée à un objet connecté. En partenariat avec Withings, fabricant français des montres connectées à Internet, l'assureur offre un capteur de mouvements, ou «tracker» d'activité, aux 1000 premiers souscripteurs de son offre santé Modulango. Ceux qui font plus de 7000 pas par jour pendant un mois gagnent des bons d'achat de 50 euros pour des soins de médecine douce.

En octobre 2013, l'Assurance-maladie a tenté d'aller plus loin en ne remboursant plus le matériel pour l'apnée du sommeil pour les patients l'utilisant moins de trois heures par nuit. C'est un moyen de réduire un gaspillage, qui s'élève à 80 millions d'euros par an. Le projet, contesté par la fédération d'associations de malades Ffaair, a été retoqué par le Conseil d'État. Mais il devrait réapparaître sous une autre forme et même être étendu à d'autres pathologies comme le diabète. «S'il s'agit de télémédecine davantage que de télésurveillance», l'association ne s'y opposera plus, assure Alain Murez, président de la Ffaair. La méthode n'est pas neuve.«Aux États-Unis, les assureurs-santé imposent sur les appareils destinés aux patients souffrant d'apnée du sommeil des puces qui mesurent les taux d'utilisation. Le marché est clair: si l'appareil ne sert pas suffisamment, il est enlevé et le fournisseur du matériel doit rembourser l'assureur», explique Sylvain Hanssen, de la société de conseil Alcimed.

Aux États-Unis encore, le groupe français Edenred a lancé en janvier un programme (lire ci-dessous)qui permet aux compagnies d'assurances d'inciter leurs assurés à bien se nourrir… et donc à entretenir leur santé. Les assurés qui adhèrent à Nutrisavings numérisent leurs achats alimentaires et en envoient le détail à Edenred.

«Sanofi fournisseur de Google»

Le transfert de ces données peut inquiéter. Dans son dernier rapport annuel, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) pointe la multiplication des capteurs «portés par et “sur” les individus, qui produisent des données d'un nouveau genre, se situant à la frontière du bien-être et de la santé au sens médical. Le quantified self (ou “mesure de soi”, qui consiste à mieux se connaître en mesurant des données relatives à son corps et à ses activités) pourrait-il demain s'imposer à chacun?», alerte la Cnil.

Il n'est pas question de «fliquer» le comportement des assurés, répondent en cœur les organismes qui ont lancé ces services. L'institut de prévoyance Malakoff Médéric, qui développe auprès de 20.000 personnes un service de télémédecine pour prévenir l'hypertension, fait envoyer les données chez un hébergeur informatique et assure n'y avoir, en tant qu'assureur, aucun accès. «Nous savons quels participants ont fait le minimum de pas requis dans le jeu lancé avec Withings, mais nous ne connaissons pas leur nombre exact de pas», précise Didier Weckner, directeur général d'Axa Solutions Collectives.

«Ces programmes posent pourtant la question de l'appartenance et de la transmission des données, pour lesquelles il n'y a pas de réglementation claire en Europe», explique Sylvain Hanssen. Quelle que soit la façon de collecter les informations, on se rapproche déjà de Big Brother, même si c'est avec l'autorisation des consommateurs. Plus d'un milliard d'utilisateurs de Facebook acceptent sans sourciller ses conditions d'utilisation. Quant au carnet de santé électronique, «si vous demandez à un patient l'autorisation de capter ses données de santé, il refusera probablement. Mais qu'en est-il si vous lui proposez de saisir lui-même ses données de santé dans une rubrique dédiée sur son smartphone?», souligne Vincent Genet, associé d'Alcimed. Le dossier médical personnel, que les autorités françaises tentent sans succès de créer depuis des années, finira par exister à l'initiative… d'Apple ou de Google. Les deux géants de l'Internet ont annoncé récemment le lancement de leurs applications santé Google Fit et HealthBook. Déjà, une application de la société DrChrono permet aux médecins d'enregistrer automatiquement des vidéos, des photos et des notes dans un dossier numérique grâce aux Google Glass.

Les ténors des technologies de l'information ont bien compris que l'e-santé était un enjeu majeur des prochaines années. Mais les groupes pharmaceutiques devraient s'y intéresser davantage. «Quand on sait qu'aux États-Unis l'accompagnement des patients en télésanté a divisé par deux les hospitalisations pour certaines maladies, on peut se demander qui seront les opérateurs santé de demain», souligne un expert. Plutôt que GSK ou Pfizer, le concurrent de Sanofi pourrait bientôt être Google ou Apple. «On peut même imaginer que Sanofi devienne un fournisseur de Google», pronostique un autre expert. Le mot d'ordre de Calico, la filiale de Google, qui vient de recruter les meilleurs scientifiques et ingénieurs dans le monde, n'était-il pas: considérez le vieillissement comme une maladie à traiter?

Edenred se lance dans l'éducation alimentaireaux États-Unis

Aux États-Unis, Edenred (qui distribue les Ticket Restaurant) a lancé un programme pionnier de suivi alimentaire. Les clients des assureurs-santé ou les employés des entreprises qui adoptent Nutrisavings scannent leurs achats alimentaires avec leur smartphone. Ils obtiennent ainsi le score santé de 200 000 produits. «Cela permet de les éduquer sur les bienfaits de chaque aliment et de les inciter à choisir les produits les plus sains, riches en fibres, vitamines, etc. mais pauvres en gras, sel ou sucre, pour gagner des points», explique Gérard Bridi, directeur général d'Edenred aux États-Unis. Autres avantages: Edenred négocie avec les grands distributeurs alimentaires des réductions qui peuvent aller jusqu'à 400 dollars par an et par famille, soit 1 % à 2 % du salaire moyen. Les entreprises y ajoutent leurs propres incitations. Harvard Pilgrim Health Care verse ainsi 10 dollars à ses employés adhérents à Nutrisavings (un tiers des effectifs) quand leur score mensuel est bon. Assureurs et employeurs misent de leur côté sur la baisse de leurs coûts. Une économie de taille si l'on en croit une étude de Harvard, selon laquelle chaque dollar dépensé en Weight Watchers et autres plans de remise en forme réduit les dépenses de santé de 3,3 dollars.

Armelle Bohineust
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