Le gouvernement se mobilise (enfin?) autour du numérique

Cette semaine GreenSI relèvera dans l'actualité, la proposition du Premier Ministre, au Président de le République, de faire du numérique l'une des priorités de l'action du Gouvernement (saisine) et de demander au Conseil National du Numérique d'organiser une grande consultation.

Chose demandée, chose faite, la plateforme du CNNum est déjà en ligne (https://contribuez.cnnumerique.fr/) mais pas encore ouverte à la collecte de contributions.

Au delà de l'effet d'annonce et de la probabilité (non nulle) que cela ne débouche sur rien de concrêt, c'est pour GreenSI, le premier engagement fort du gouvernement français sur le numérique, à ce niveau de l'Etat, depuis le e-G8 (forum en marge du G8 qui s'est tenu à Paris en 2011).

Un sommet e-G8 qui avait été "inspiré" à la suite d'un billet sur le blog de Tariq Krim, serial entrepreneur créateur de Netvibes, qui mettait en avant que la France n'avait pas de CTO (Chief Technologie Officer). Billet qui avait enflammé les débats sur le web, jusqu'à ce que le politique s'en empare. Et puis les Etats-Unis avaient nommé leur premier CTO en 2009 suite à l'élection de Barack Obama. Mais dans un contexte 2011 de création de la loi Hadopi, la confusion régnait sur les enjeux du numérique, et le sommet a accouché d'une souris. La France s'est alors engagée dans une approche de "lawyers", via la loi, plutôt que de "makers", via des actions à impact. Nicolas Sarkoy, pourtant élu avec une campagne web remarquée par les professionnels, venait certainement de rater là, le titre de premier Président 2.0.

Depuis, la France s'est doté d'une DSI au niveau de l'Etat (DISIC) et même d'un Chief Data Officer, qui aura les habilitations nécessaires pour ouvrir les données, jalousement gardées, par les administrations (open data). A suivre...

Cette semaine, avec Manuel Valls, le numérique ne s'installe donc plus uniquement à la table d'une secrétaire d'Etat au sein d'un ministère (Fleur Pellerin puis Axelle Lemaire), mais à celle de tous les Ministres. Pour faire le parallèle avec le privé, disons que la gouvernance du numérique de l'Etat vient de quitter la Direction de la Communication (plan de 15 millions pour la French Tech d'Axelle Lemaire) pour devenir une stratégie numérique opérante, élaborée en Comité de Direction.

D'ailleurs la semaine dernière, via l'ANSSI, l'Agence Nationale pour la Sécurité des SI, l'Etat s'est doté d'une politique nationale de sécurité pour ses SI (hors militaires). On frise le sans faute, car développer encore plus le numérique au niveau national sans le maîtriser en terme de sécurité, pourrait s'avérer catastrophique a moyen terme. Dans ce document (PSSIE) d'une quarantaine de pages, on y trouve des bonnes pratiques à appliquer pour tous les SI de l'Etat, comme l'hébergement des données sensibles sur le sol national (voilà le "cloud souverain" qui revient) ou la formation à la cybersécurité de tous les agents de l'Etat utilisant un SI.

La nouvelle gouvernance est donc claire, les services du Premier Ministre reprennent la main sur l'informatique de l'Etat. Ce qui est confirmé par un décret publié pendant la torpeur du mois d'Août, avec à la manoeuvre Thierry Mandon, le secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat et à la simplification, aussi en charge de réduire les dépenses informatiques de l'Etat de 20 à 40%.

Au menu, du classique pour les DSI de grands groupes: consolidation des datacenters, simplification du patrimoine applicatif, unification des réseaux... mais qui n'avait jamais pu être fait au sein de l'Etat, faute de gouvernance. La DISIC pilotée par Jacques Marzin, est donc désormais en charge de cette politique SI des ministères, qui comme dans les grands groupes, ne se fera pas sans difficultés.

Les acteurs du numérique français, applaudissent visiblement des deux mains, et saluent l'initiative du gouvernement.

Mais revenons au CNNum et à cette nouvelle concertation.

Une consultation qui fait suite à celle de la mission pilotée par Philippe Lemoine (dans laquelle je suis intervenu sur le thème de l'opendata) et que l'on trouve encore dans les archives du Ministère du Redressement Productif. Une mission qui aura vu 2 changements de gouvernement entre son lancement et ses résultats (au stade du rapport intermédiaire).

Et puis la consultation du CNNum fait aussi suite aux multiples rapports remis aux secrétaires d'Etats au numérique, dont celui de Tariq Krim sur les professionnels du numérique abordant les compétences des développeurs, ou celui de deux députés, Laure de la Raudière et Corinne Erhel, sur le développement de l'économie numérique. Le numérique est visiblement un sujet qui demande bien des avis...

Les thèmes de la consultation du CNum proposée aux citoyens (éclairés) sont :

  • Croissance, innovation, disruption : le numérique comme force de transformation des industries,
  • Loyauté dans l'environnement numérique : pour définir les grands principes du numérique pour les citoyens,
  • Un Etat stratège dans la transformation numérique : le numérique comme enjeu de transformation et de souveraineté pour l’Etat.
  • La société face à la métamorphose numérique: au delà de l'Etat et des entreprise,la métamorphose du monde et de la société avec le numérique.

C'est donc une opportunité de vous impliquer dans cette réflexion nationale, via le sité dédié (https://contribuez.cnnumerique.fr/), si cela vous dit.

Alors que penser de tout ça?

Pour GreenSI la France à la chance d'avoir une effervescence d'innovations et de startups du numérique talentueuses.

Ce qui n'est pas donné à tous les pays, et ce malgré un climat des affaires et social certainement moins attrayants que d'autres pays selon les enquêtes internationales.

La nomination hier de Azendoo, startup Bordelaise, au "Best Multi Platform Award" d'Evernote, seule française devant des startups du monde entier, nous rappelle la force de cet eco-système. Et rappelons nous aussi la présence massive de la France au CES de LAs Vegas l'an dernier avec de nombreux objets connectés et déjà des leaders français comme Parrot ou Withings.

Alors oui c'est déjà une bonne chose qu'un budget de communication soit alloué par l'Etat a ces succès, et consolidés dans la marque FrenchTech, pour au moins leur donner cet avantage à l'international.

Mais pour aller plus loin, il faudra en passer par la réforme des SI de l'Etat. Et exploiter le numérique en avantage concurrentiel pour la France, notamment dans l'Education, qui sinon sera balayée par un tsunami numérique et aura aussi raté la formidable opportunité du réseau mondial de la francophonie, si elle ne fait rien. Ou en accompagnant la transformation de ces industries secouées par le numérique, qui organisent une résistance vaine, au lieu de se transformer (taxis, livres, musique,...) alors qu'elles sont pourtant au coeur de la prochaine économie de partage et de services, que le numérique est en train de réinventer, et que le gouvernement appelle de ses voeux.

Et puis hasard du calendrier, la France se hisse vendredi à la première place européenne pour ses services aux citoyens, et à la quatrième mondiale. Sans compter notre excellence pour déployer des machines automatique de contrôle et de levée de l'impôts (site impots.gouv.fr, radards automatiques, portiques eco-taxes, hadopi,...). On est donc pas si mauvais que cela du côté de l'interface citoyen ("front office"). C'est donc bien à l'intérieur du SI de l'Etat, dans le "back office", et pas nécessairement dans le front office, qu'il doit y avoir les plus grandes marges d'amélioration. En tout cas c'est l'intuition de GreenSI sur laquelle je vous invite à réagir en commentaires.

Ce sursaut est donc une chance de poursuivre, plus vite, plus fort, la transformation digitale de la France, en commençant par celle de l'Etat, dont le poids dans l'économie est l'un des plus important d'Europe. Mais attention à l'écueil de vouloir tout faire rentrer dans le projet de loi relatif au numérique en préparation pour l’année prochaine. Cela nous ramènerait du côté des "lawyers" et nous éloignerait de la route des "makers" dont nous avons grand besoin après 4 ans de discours.

Et pour regarder un peu plus loin, notons que le Président Obama vient de nommer son troisième CTO depuis 2009. Une nomination qui en France mettrait en évidence deux autres symboles:

  • Megan Smith, est la première femme à la tête du SI de l'Etat, dans une profession où l'équilibre homme-femme est loin d'être atteint.
  • Megg est l'ancienne VP de Google(X), le lab de Google qui travaille sur ces fameux projets "moonshot", comme la voiture sans conducteur, dont GreenSI avait parlé l'an dernier. Mais qui est aussi passée par Apple et quelques startups. En tout cas, pas quelqu'un qui a fait toute sa carrière dans l'administration voire même qui est issue de son école nationale.

De quoi projeter Washington encore plus loin, au moins dans l'imaginaire.

Mais la France est-elle prête pour cela?

Si oui, c'est à la French Tech a qui il faudrait demander de donner un coup de main pour la réforme du SI l'Etat. Elle regorge d'idées pour l'éducation, la santé et objets connectés, ou analyser les données pour rendre l'Etat plus efficace. Mais travailler avec la FrenchTech n'est pas gagné pour une administration. Déjà à cause de la complexité du code des marchés publics, de moins en moins adapté aux projets informatiques, encore moins a ceux de rupture, qui privilégie les acteurs établis et le conservatisme des choix techniques.

C'est peut être par là d'ailleurs qu'il faudrait commencer la simplification.

Frédéric Charles
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