"Pourquoi nous ouvrons les bases de données de santé"

Le projet de loi Santé qui sera bientôt discuté au Parlement propose l'ouverture des bases de données santé au public. La ministre Marisol Touraine nous explique pourquoi et comment.

Dans quel but et pour quels bénéfices le gouvernement veut-il centraliser les données santé au sein d'un système national des données de santé ?

La France dispose de bases de données publiques nationales extrêmement complètes, issues notamment de l'historique des remboursements par l'assurance maladie pour l'ensemble de la population. C'est un atout formidable : ces données, et d'autres collectées par différentes institutions publiques, présentent un gisement unique au monde, longtemps ignoré. Les chercheurs l'exploitent déjà pour comprendre, par exemple, les causes d'hospitalisation ou l'efficacité de médicaments. C'est aussi une responsabilité : ces données sont un patrimoine collectif dont l'Etat est le gardien dans un monde marqué désormais par la puissance des technologies de l'information qui modèlent l'économie de demain. Pas plus que la santé n'est une marchandise, les données de santé ne sont à brader au plus offrant. Si l'Etat a le devoir de valoriser ces données pour le bien collectif, c'est dans le strict respect de la vie privée des citoyens et de l'intérêt collectif. Tout est affaire d'équilibre. En ouvrant - dans des conditions de transparence précisément définies - l'accès aux données de santé, le projet de loi de santé encourage les chercheurs, publics ou privés, la société civile, les professionnels de santé, mais également les entreprises, start-up ou grands groupes, à produire de la connaissance qui puisse bénéficier à la collectivité. C'est aussi cela, la démocratie sanitaire.

Quelles bases existantes l'abonderaient ? Proviendraient-elles toutes de bases publiques ? Précisément, quelles données seraient accessibles ?

Le système national des données de santé (SNDS) existe déjà pour l'essentiel : il s'agit des données fournies par les feuilles de soins et de celles produites par les hôpitaux à l'issue de chaque hospitalisation. Ces données répondent à des fins de gestion administrative, mais elles sont déjà utilisées, depuis quelques années, pour la recherche.

Dans ce type d'études scientifiques, pouvoir lier l'historique médical aux causes médicales de décès représente un immense intérêt. C'est pourquoi ces données ont vocation à être intégrées dans le SNDS.

Il est également prévu de créer au sein du SNDS un lien avec les données sur le handicap et la dépendance, collectées par les maisons du handicap, les EHPAD et les collectivités territoriales. Ce rapprochement est demandé par de nombreux chercheurs et associations de patients. L'enjeu est de mieux comprendre les liens entre santé et handicap.

Chacune des bases qui composeront le SNDS continuera d'exister séparément. Le projet de loi prévoit de les rassembler dans un système commun pour faciliter leur rapprochement et ainsi raccourcir les délais auxquels font face les équipes actuellement, pour des raisons tant techniques qu'administratives.

Qui autorisera les demandeurs à accéder à ces données ? Quel sera le rôle exact de la Cnil ?

Tout d'abord, il faut préciser que le projet de loi ne traite pas que de l'accès au système national des données de santé : il énonce des règles homogènes qui s'appliqueront à l'ensemble des demandes d'accès aux données de santé. A l'heure actuelle, les conditions d'accès varient d'une base à l'autre : certaines reposent sur un arrêté ministériel, d'autres sur une décision de la Cnil. Pour simplifier l'accès, il faut avant tout harmoniser les procédures.

Le projet de loi pose une règle simple : les données entièrement anonymes seront mises à disposition du public et les données qui ne le sont pas seront uniquement accessibles après autorisation de la Cnil.

Qu'est-ce qu'une donnée anonyme ? Les données des bases nationales, dont celles qui constitueront demain le SNDS, ne comportent déjà aucun nom, prénom, numéro de sécurité sociale, ni aucune adresse : toutes les informations qui permettent d'identifier directement une personne sont aujourd'hui déjà codées. Cette garantie de confidentialité est évidemment maintenue dans le projet de loi.

L'expérience montre cependant que, même sans ces informations identifiantes, il est possible de retrouver une personne en connaissant quelques éléments de sa vie. C'est pourquoi ces données présentent un risque de ré-identification, justifiant d'en contrôler strictement l'accès.

Dans notre pays, c'est la Cnil qui est chargée d'évaluer les risques au regard des bénéfices attendus de l'utilisation des données personnelles informatisées. Il était donc naturel de lui confier la décision ultime d'autoriser ou non l'utilisation des données de santé.

J'ai souhaité que la Cnil puisse être éclairée par des avis extérieurs. D'une part, un comité d'expertise scientifique évaluera la solidité de la méthodologie proposée pour chaque projet utilisant les données du SNDS ; d'autre part, un avis éthique pourra être émis sur l'intérêt public présenté par le projet.

Qui aura accès aux données anonymes et aux données identifiantes et dans quel cadre ?

Conformément à la recommandation de la commission sur l'ouverture des données de santé, qui m'a rendu ses conclusions l'an dernier, le projet de loi établit que les données entièrement anonymes sont à la disposition de tous. C'est le principe de l'open data, soutenu par le gouvernement depuis 2012. Sur mon impulsion, le ministère et ses opérateurs en santé ont commencé à produire des jeux de données anonymes qui sont en ligne sur la plateforme open data du gouvernement. L'Assurance maladie a organisé un hackathon en janvier dernier à l'occasion de l'ouverture d'un des plus importants jeux de données jamais réalisé en France. D'autres événements de ce type seront organisés ces prochains mois dans une démarche collaborative que j'encourage pleinement.

J'ai également suivi les demandes de la commission d'élargir l'accès aux données à un plus grand nombre d'acteurs : c'est ce que permet l'article 47, puisque des acteurs privés pourront, demain, accéder aux données de la CNAMTS, ce qui n'est pas le cas actuellement. Les données de santé à caractère personnel pourront être utilisées pour tout projet justifiant d'un intérêt public. En contrepartie de cet accès élargi, le projet de loi renforce les exigences de transparence et de traçabilité des accès aux données. De plus, il prévoit différentes modalités d'accès suivant la nature de l'organisme demandeur.

Plusieurs entreprises et associations ont fait part de leur inquiétude quant aux contraintes qu'imposeront ces modalités, ainsi que certains aspects de la gouvernance proposés dans l'article 47. J'entends les rassurer sur ma volonté d'encourager les utilisations innovantes des données de santé. En réponse à ces demandes, j'ai souhaité que la commission sur l'ouverture des données de santé se réunisse à nouveau, afin de travailler sur des ajustements du texte du projet de loi avant son examen au Parlement.

L'accès à ces données sera-t-il payant ?

Les données entièrement anonymes seront mises à disposition du public gratuitement. En revanche, les données détaillées du système national des données de santé seront payantes. Les modalités précises de paiement seront définies par mesure réglementaire. La mise à disposition de données de cette ampleur et de cette sensibilité requiert en effet une infrastructure technique adaptée ; les contrôles à réaliser en amont et en aval pour garantir la protection de la vie privée représentent également un coût important pour la puissance publique. Il serait normal que ce coût soit partagé avec les ré-utilisateurs.

La création d'un Institut national des données inquiète les associations de patients et la Mutualité française. Comment sera-t-il composé, quels seront ses missions et ses moyens ?

L'Institut national des données de santé (INDS) reprendra les missions de l'actuel Institut des données de santé (IDS) créé en 2004, en les adaptant au nouveau contexte établi par le projet de loi. L'IDS a permis des avancées en matière d'ouverture des données de santé, en associant tous les acteurs, y compris de la société civile.

C'est pour rester fidèle à ce modèle que j'ai souhaité enrichir la composition et les missions de l'IDS. L'élargissement des conditions d'accès aux organismes privés impose d'élargir la composition de l'institut – et non de la réduire, comme le craignent certains. L'INDS sera en charge de l'évaluation du caractère d'intérêt public, qui est au cœur du dispositif d'accès aux données du SNDS. Cette mission l'amènera à élaborer, au fil des demandes, une doctrine cohérente d'accès aux données de santé qui manque aujourd'hui.

Enfin, l'INDS doit jouer le rôle essentiel de "guichet unique" pour les demandeurs d'accès. Une demande forte de la commission sur l'ouverture des données de santé, afin de fluidifier l'accès aux données.

Frantz Grenier
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